Une croissance solide soutenue par une accélération du tourisme et des fonds européens
Après s’être montrée résiliente aux vents contraires générés par la guerre en Ukraine, l’activité économique devrait se renforcer en 2024 et 2025 et rester au-dessus de la moyenne de la zone euro (prévisions Coface à 1,5% pour 2025). La croissance sera soutenue par la consommation des ménages dont le pouvoir d’achat continuera de s’améliorer grâce à l’atténuation des pressions inflationnistes et un taux de chômage sur une trajectoire descendante (4,6% au Q2 2024, son plus bas niveau depuis la crise financière). De plus, le tourisme continuera de se renforcer grâce au regain de confiance et des revenus disponibles des ménages européens. Bien que les arrivées internationales chypriotes aient été, à l’été 2024, encore 2% en-dessous des niveaux prépandémiques, le secteur du tourisme a réussi à surmonter les pertes des marchés russe (20% des arrivées touristiques en 2019) et ukrainien grâce à l'augmentation du nombre de visiteurs en provenance d'Europe occidentale (principalement du Royaume-Uni, représentant 34% des arrivées au S1 2024). Bien que les Israéliens représentent aujourd’hui le deuxième marché touristique (10% des arrivées au S1 2024), le conflit au Proche-Orient a eu un impact modeste sur le secteur jusqu’à maintenant. D’autre part, les secteurs des services professionnels et financiers dépendent fortement des filiales locales de sociétés russes exposées aux sanctions. Bien que Chypre soit peu exposée directement à l'approvisionnement énergétique russe, le pays insulaire dépend fortement des importations de pétrole et reste donc vulnérable aux chocs énergétiques mondiaux, notamment au risque d’escalade des tensions au Moyen-Orient.
Les perspectives d'investissement devraient s’éclaircir avec l'assouplissement des conditions financières mais celui-ci restera très progressif. Il devrait notamment être alimenté par la hausse des investissements dans la construction, tirée par les IDE, avec de nombreux projets de grande envergure dépassant les 8 milliards d’euro d’après l'Association des Grands Projets d'Investissement (infrastructures, nouvelles marinas, propriétés commerciales et résidentielles tirée par la demande locale et internationale…). Bien que le pays bénéficie d'une aide européenne substantielle sous la forme de fonds NGEU (5% du PIB de 2020), le calendrier de décaissement de ces fonds a été ralenti par l'incapacité à mettre en œuvre les réformes à temps. A l’été 2024, Chypre avait reçu seulement 22% des 1,2 milliard d’euros de fonds de relance approuvés (1 milliard d’euros de subventions et 200 millions d’euros de prêts), la majeure partie devrait donc être versée en 2025-2026.
Diminution du risque souverain et bancaire grâce à l’augmentation des recettes fiscales
Bien que la dette reste supérieure à la règle budgétaire européenne, la croissance robuste, notamment avec l'augmentation des recettes touristiques, devrait encore permettre l’affichage de résultats budgétaires excédentaires. Le retrait progressif des mesures de soutien adoptées lors de la crise énergétique, combiné à l'augmentation des recettes générée par une solide consommation soutenue par la hausse des salaires (6,6% en 2023), y contribueront. La conjonction de la forte croissance du PIB nominal et des excédents budgétaires successifs continuera de se traduire par une diminution du ratio de la dette. Avec des besoins de financement gérables (estimés à 4-5% du PIB par an), des réserves de liquidités solides représentant 10% du PIB et plus de deux tiers de l'encours de la dette à taux d'intérêt fixe, le risque souverain est raisonnablement contenu. La santé du système bancaire, même s'il porte encore quelques cicatrices de la crise de la zone euro, est également sur une trajectoire positive. Cela vaut pour l'actif, où le ratio de NPL a atteint 6,9% en juin 2024 (9% un an auparavant), ainsi que pour le passif, avec un ratio de capital CET 1 de 23,4% (T1 2024).
Le déficit du compte courant restera important à cause de ceux des biens et des revenus primaires. En effet, la dépendance du pays aux importations, exacerbée par la forte demande domestique, tant en termes de consommation que d’investissement, se traduit par un déficit commercial équivalent à 24% du PIB en 2023. De plus, la prospérité des entreprises étrangères de service, toujours plus nombreuses sur l’île, génère un rapatriement accru de bénéfices à l’origine de l’important déficit des revenus (10%). La contrepartie se situe dans l’excédent des services (23%) qui se confirmera du fait de la robustesse des exportations de services, notamment touristiques, financiers et informatiques. Le déficit courant pourrait néanmoins se réduire en lien avec la modération des prix des produits de base et la normalisation de la rentabilité des établissements financiers étrangers. De plus, ce déficit courant n'est pas trop préoccupant, car financé par l’entrée d’investissements directs étrangers (13% du PIB en 2023), notamment fonciers, en partie financés par le réinvestissement de bénéfices. Par ailleurs, l’activité des nombreuses entités à vocation spéciale domiciliées à Chypre, notamment dans le transport maritime et la finance, altère les statistiques extérieures par leurs investissements (navires, licences…) majoritairement financés par des engagements étrangers. Cependant, ces entités, avec peu de lien avec l’économie domestique, sont donc pour l’essentiel, exclues de l’analyse.
Un paysage politique de plus en plus fragmenté tandis que les tensions avec la Turquie perdurent
Depuis son élection, en février 2023, le président Níkos Christodoulídes, un indépendant, est contraint de gouverner avec un gouvernement minoritaire. La fragmentation politique s’est confirmée et accrue lors des élections européennes de juin 2024 où les deux principaux partis soutenant le gouvernement – le Parti démocrate centriste (Diko) et le Mouvement des sociaux-démocrates de centre-gauche (Edek) – ont obtenu de mauvais résultats avec seulement 15% des votes à eux deux. Alors que la législation est adoptée au cas par cas en l’absence de majorité, ces résultats risquent de rendre les négociations avec les partis d’opposition encore plus difficiles. En proie à ces problèmes de gouvernance, Chypre a tardé à tirer parti des fonds de l'UE en raison de retards dans la mise en œuvre des objectifs de réforme (collecte des impôts, énergie, santé, éducation et infrastructures de transport) nécessaires pour accéder à la part qui lui est allouée.
D’autre part, l'île de Chypre est divisée entre la République de Chypre (RC), alliée à la Grèce et membre de la zone euro, qui contrôle la moitié sud de l'île, et la République turque de Chypre du Nord (RTNC), qui contrôle le nord et n'est reconnue que par la Turquie. Alors qu'un cessez-le-feu existe depuis 1974 via l’instauration d’une ligne verte avec la présence des forces de l’ONU, les tensions géopolitiques continues entre la Grèce, Chypre et l'UE, d'une part, et la Turquie, d'autre part, ont tendu cette situation. Les revendications maritimes de la Turquie et la RTCN en Méditerranée orientale, comprenant l’exploration d’importants gisements de gaz, est un point de tension crucial. Depuis 2018, la Turquie a envoyé à plusieurs reprises des navires d'exploration escortés par des navires militaires dans les eaux contestées. Bien qu'il y ait eu récemment quelques signes de détente, la voie vers une solution durable est peu probable à l'heure actuelle. La république de Chypre reste un membre clé de l'EastMed Gas Forum, une alliance avec l'Égypte, la Grèce, Israël, l'Italie, la Jordanie et la Palestine, visant à favoriser une industrie gazière régionale.