Un timide surcroit de croissance accompagné d’un regain de confiance
Percluse par plus d’un an de pénurie de devises étrangères, la croissance devrait s’accélérer légèrement sur l’année budgétaire 24/25, notamment dans sa seconde moitié. Elle bénéficiera d’un regain de confiance suite à un investissement massif d’un fonds souverain des Emirats Arabes Unis pour le développement de la ville côtière de Ras El-Hekma, à l’ouest d’Alexandrie, en un grand pôle touristique et économique. A ce titre, des versements sont intervenus en février (10 milliards de dollars) puis en mai 2024 (14 milliards), mettant fin à la crise de devises. Onze milliards supplémentaires, déposés par les Emirats auprès de la banque centrale, ont fait l’objet d’une conversion en livres. Il est prévu que le fonds émirati investisse à hauteur de USD 150 milliards dans ce projet. Cette aubaine s’est suivie de la conclusion d’un accord avec l’UE sur un financement de 7,4 milliards d’euros, ainsi que la reprise et l’augmentation à 8 milliards du programme financé par le FMI au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC), conclu en décembre 2022 pour une période de 46 mois. Tous ces éléments ont permis à la Banque Centrale d’Egypte (CBE) d’adopter un taux de change flexible en mars 2024, provoquant une dépréciation initiale de 38 % de la livre égyptienne par rapport au dollar américain. L’unification des marchés des changes officiel et parallèle a permis une levée progressive des restrictions sur les importations et la suppression des obstacles aux sorties de devises. Simultanément, face à une inflation sous-jacente élevée (33,7%), la BCE a resserré sa politique monétaire, augmentant son taux directeur de 600 points de base, pour atteindre 27,25%. Après une inflation encore élevée en 2024, surtout tirée par les prix des denrées alimentaires, une baisse est attendue, en 2025, grâce à une stabilisation (elle s’est déjà reprise depuis sa dévaluation initiale) de la livre et au resserrement monétaire, laissant entrevoir une possible réduction des taux. La consommation privée (près de 90% du PIB en 22/23) pourrait profiter de ce recul de l’inflation, mais aussi du regain des envois de fonds des expatriés, confortés par le nouveau régime de change. L’activité pourrait compter sur le commerce de gros et détail (14,8% du PIB en 22/23), l’agriculture (12,2% du PIB) et les télécommunications (3,3 % du PIB). Affecté par les guerres à Gaza et en Ukraine, le tourisme au sens large (8% du PIB) dépendra de l’évolution de ces conflits. Bien que productrice, l’Egypte est une importatrice nette de gaz naturel et peine à satisfaire sa demande intérieure, ce qui explique les coupures d’électricité planifiées répétées depuis l’été 2023. Cependant, elle s’est accordée avec Israël pour augmenter les livraisons de gaz depuis le champ israélien de Tamar, afin d’assurer sa consommation domestique et de soutenir ses exportations de GNL, permettant au passage une contribution légèrement positive des échanges extérieurs à la croissance. Les autres exportations (surtout agroalimentaires, coton, produits chimiques) sont à faible valeur ajoutée. Elles profiteront de la dévaluation de la livre, mais dépendront de l’évolution du conflit en mer Rouge et des ressources énergétiques disponibles.
L’économie égyptienne reste dominée par le secteur public (25% de l’emploi et 74% de l’investissement) et l’économie informelle (estimée à 40% du PIB). Néanmoins, le gouvernement prévoit de réduire son empreinte sur l’économie en plafonnant l’investissement public (8,6% du PIB en 22/23) à 1 000 milliards de livres égyptiennes (6% du PIB) pour l’année budgétaire 24/25. Des progrès dans les réformes prévues au programme du FMI viendront soutenir l’activité du secteur privé. Ces réformes comprennent, notamment, la poursuite du programme de privatisation et la suppression des avantages pour les acteurs publics.
Les comptes publics et extérieurs toujours fragiles, malgré la bouffée de devises
Même si la comparaison avec l’année précédente est quelque peu biaisée par des recettes exceptionnelles sans doute liées à l’investissement émirati, le déficit public se creusera pendant l’année 24/25. Certes, les recettes (15,4% du PIB en 22/23) seront stimulées par l’entrée en vigueur de réformes fiscales (élargissement de l’assiette fiscale, rationalisation des exonérations de TVA). Elles profiteront également des recettes issues des privatisations (estimées à 1% du PIB en 24/25). Mais les dépenses (21,5% du PIB en 22/23), notamment courantes, avec les salaires des fonctionnaires (4% du PIB), les dépenses sociales et les subventions aux carburants et à l’électricité, continueront d’augmenter, malgré le quadruplement du prix du pain subventionné. Néanmoins, la limitation de l’investissement public pourrait permettre de dégager un excédent primaire (c-à-d hors intérêts) prévu à 3,5% du PIB. Mobilisant la moitié des dépenses et 70% des recettes prévues en 24/25, le paiement des intérêts sur la dette constituera le premier poste de dépenses, principalement avec les intérêts domestiques. Malgré son coût traditionnellement élevé et l’augmentation du taux directeur de la CBE, le déficit devra encore être financé en grande partie sur le marché intérieur. Les banques commerciales domestiques sont les premières détentrices de la dette publique, même si les investisseurs étrangers ont fait leur réapparition. L’Egypte pourra toutefois se tourner progressivement vers les marchés internationaux de capitaux en 2025, dès lors que les taux auront entamé leur descente sur les marchés avancés. La dette extérieure représente 25,6% de la dette publique et est détenue en majorité par des créanciers multilatéraux (FMI, Banque mondiale).
Même si toujours déficitaire, le compte courant devrait s’améliorer durant l’année budgétaire 24/25. Malgré la modération des importations de biens de consommation liée à la dévaluation de la livre, et la reprise des exportations de gaz naturel liquéfié, le déficit commercial (8% du PIB en 22/23) restera élevé. Une grande part des importations est incompressible : l’Egypte est le 1er importateur de blé au monde et sa production industrielle, notamment manufacturière, dépend à 40% d’intrants importés. En outre, la mise en œuvre, à partir de 2025, de l’accord d’investissement de Ras El-Hekma stimulera également les importations. Le surplus de la balance des services dépendra de l’évolution des conflits en mer Rouge et à Gaza. En cas de résolution, les services profiteront du rebond du tourisme (3,5% du PIB en 22/23 avant les conflits) et du trafic sur le Canal de Suez (2,2% du PIB en 22/23). L’élimination de la prime du marché parallèle rétablira les envois de fonds des expatriés par les canaux formels (5,6% du PIB en 22/23 après 7,4% en 20/21). Le déficit courant sera financé par les IDE (2,5% du PIB en 22/23, essentiellement en provenance du Golfe), les financements multilatéraux, les ventes de bons du trésor aux non-résidents, avant le retour des émissions d’obligations internationales. Les réserves de change se sont établies à 7,5 mois d’importations en janvier 2024.
Au carrefour des tensions géopolitiques régionales
Sur le plan international, l’Egypte continue d’être au cœur des conflits dans la région, ce qui en fait un partenaire de choix pour ses partenaires internationaux, bilatéraux et multilatéraux. Tout d’abord, son implication dans la guerre Israël-Hamas est inévitable en raison de sa frontière avec la bande Gaza, ponctuée du poste frontière de Rafah, porte d’entrée de l’aide internationale et unique point de sortie pour les résidents de Gaza. L’Egypte pourrait faire face à un afflux de réfugiés conséquent, dans une région du Sinaï où la lutte contre des groupes islamistes continue. En outre, la prise de contrôle du corridor de Philadelphie (le long de la frontière, côté Gaza) par Israël et ses opérations militaires à Rafah fragilisent les livraisons d’aide. Cela envenime la relation israélo-égyptienne, pourtant considérée comme vecteur de stabilité au Moyen-Orient, depuis les Accords de Camp-David en 1978, considérés par l’Egypte comme la pierre angulaire de sa politique étrangère (comprenant une aide militaire annuelle des Etats-Unis). A cela s’ajoutent des attaques des rebelles Houthis du Yémen en mer Rouge et dans le golfe d’Aden qui forcent les grandes compagnies maritimes à opter pour des alternatives plus sûres, entraînant une baisse de plus de 60% du trafic du Canal. Enfin, les tensions se sont ravivées avec l’Ethiopie depuis le remplissage unilatéral par celle-ci du barrage Renaissance (GERD) sur le Nil bleu. Située en aval, l’Egypte pourrait voir son approvisionnement en eau perturbé. Les autorités égyptiennes doivent concilier une opinion publique favorable aux palestiniens, les intérêts géostratégiques et commerciaux du pays, et leur méfiance à l’égard des Frères musulmans, mouvement chassé du pouvoir lors du coup d’Etat en 2013 et dont le Hamas est une branche. Cela explique, d’une part, une attitude mesurée et les efforts de médiation, mais, d’autre part, le refus de s’associer à la coalition luttant contre les Houthis, ou d’accepter d’héberger (temporairement) les gazaouis.
Sur le plan domestique, en l’absence de véritable opposition, le président Abdel Fattah al-Sissi a remporté haut la main l’élection en décembre 2023. La modification de la Constitution en 2019 lui a permis d’entamer son 3e et, en principe, dernier mandat de 6 ans. Devant la persistance de l’inflation et les pénuries de biens de première nécessité, les manifestations se sont intensifiées après sa réélection. Les autorités s’efforcent de contenir les tensions accrues par la guerre Israël-Hamas, si besoin par la force. Le soutien de l’armée semble acquis.