La demande intérieure reste le principal moteur de la croissance
Après une forte décélération en 2023, l'économie malaisienne devrait se redresser légèrement en 2024. Cela s'explique par la résilience de la demande privée. La consommation des ménages (58 % du PIB) restera robuste grâce à un taux de chômage stable et faible (3,3 % en janvier 2024) et à des mesures publiques visant à compenser l'effet de l'inflation sur les consommateurs à faibles et moyens revenus, qui sont plus sensibles aux prix. Les ménages bénéficieront également d'une politique monétaire stable, puisque la Bank Negara Malaysia devrait maintenir son taux directeur à 3 %, un niveau proche mais inférieur à sa moyenne d'avant la pandémie (2015-19). D'une part, la banque centrale ne devrait pas relever davantage son taux, car l'économie dépendante des exportations restera confrontée à une demande extérieure fragile et les pressions à la dépréciation sur le ringgit malaisien s'atténueront dans un contexte d'assouplissement de la politique monétaire dans les principales économies avancées. D'autre part, la banque pourrait ne pas envisager de réduire son taux directeur face à l'accélération de l'inflation. La consommation privée robuste, la transition prévue de subventions générales à des subventions ciblées (notamment sur le carburant) et la suppression du plafonnement du prix des œufs, ainsi que l'augmentation du taux de la taxe sur les services (de 6 % à 8 % à partir de mars 2024 pour la plupart des services) devraient stimuler l'inflation. L'ampleur de l'accélération de l'inflation est toutefois difficile à évaluer compte tenu des incertitudes entourant ces mesures fiscales, notamment les subventions ciblées sur les carburants (montant et calendrier). Entre-temps, l'investissement privé devrait également faire preuve de robustesse, comme le suggère la hausse des investissements approuvés du secteur privé en 2023 (+23 % par rapport à 2022). Les exportations, qui ont diminué de 8 % en 2023, pourraient bénéficier des signes de reprise dans l'industrie technologique (40 % des exportations), bien qu'elles resteront marquées par un certain ralentissement économique en Chine (14 % des exportations). Les exportations de services devraient mieux se comporter que les biens grâce à la reprise continue du tourisme (11,7 % du PIB en 2019 contre environ 8 % en 2023). Le pays offre l'entrée sans visa à différentes nationalités depuis décembre 2023, y compris aux Chinois. Les citoyens chinois représentaient 11,9 % des touristes internationaux en Malaisie en 2019, la troisième source la plus importante après les Singapouriens et les Indonésiens. Les investissements publics continueront de soutenir l'activité économique. Le secteur des transports en bénéficiera avec des dépenses plus élevées pour les infrastructures de transport, notamment la construction en cours de l'autoroute Pan Borneo et de la ligne de train East Coast Rail Link.
Consolidation de la politique budgétaire
L'assainissement budgétaire entamé en 2023 se poursuivra en 2024. Dans son budget, le gouvernement prévoit en effet une réduction du déficit budgétaire. Malgré une croissance économique plus rapide, des hausses de taux d'imposition (taxe sur les services et droits d'accise sur les boissons sucrées), ainsi que l'introduction de nouvelles taxes, notamment sur les produits de luxe et les plus-values, un dividende moins élevé de la compagnie pétrolière nationale Petronas (la majeure partie des recettes publiques liées au pétrole) n’entrainera qu’une légère augmentation des recettes. Parallèlement, les dépenses publiques devraient être légèrement réduites (-0,8 % à partir de 2023) grâce à une baisse des subventions liée à la mise en œuvre de subventions ciblées et à l'absence d'obligations liées à la dette du fonds d'État 1Malaysia Development Berhad (1MDB). L'assainissement budgétaire devrait stabiliser la dette publique, qui est presque exclusivement libellée en monnaie locale (97 %) et à long terme.
L'endettement privé, y compris celui des ménages malaisiens, peut sembler plus préoccupant. Toutefois, les risques encourus par le secteur bancaire semblent limités. Les banques du pays présentent des niveaux de réserves de liquidités et de capitalisation adéquats. En outre, la part des prêts aux ménages dont le risque de crédit se détériore est tombée à 4,6 % en juin 2023, contre 6,7 % en décembre 2022.
L'excédent de la balance courante s'est réduit en 2023 en raison d'une diminution de l'excédent de la balance des biens, après avoir atteint un niveau record l'année précédente. L'excédent courant devrait augmenter en 2024. La balance des biens devrait s'améliorer grâce à la reprise - bien que limitée - des exportations. Toutefois, malgré un nombre plus élevé de visiteurs étrangers, entraînant un retour à l'excédent de la balance des services de voyage en 2023 (0,9 % du PIB), le déficit global des services pourrait augmenter en raison de la hausse des coûts de transport, liée à un commerce extérieur plus dynamique et à un fret maritime plus coûteux en raison des perturbations commerciales en mer Rouge et dans le golfe d'Aden. En outre, un déficit plus important de la balance primaire lié au rapatriement des bénéfices dans un contexte d'investissements étrangers dynamiques continuera à peser sur l'excédent de la balance courante. Ces derniers, ainsi que les investissements directs étrangers, continueront d'alimenter les réserves internationales. Celles-ci devraient donc rester adéquates, couvrant 5,4 mois d'importations et suffisantes pour payer la dette extérieure à court terme (42% de la dette extérieure totale) à partir de février 2024. Bien que la dette extérieure, très majoritairement privée, ait augmenté d'un niveau déjà notable de 63,9 % du PIB en 2022 à 68,2 % en 2023, elle reste gérable, étant principalement libellée en ringgit malaisien et ne représentant qu'une part limitée (3,8 %) des entrées d'IDE en 2023.
Délicat exercice du pouvoir pour Anwar
Après les élections générales de 2022, qui ont débouché sur un parlement très fragmenté, les deux coalitions Pakatan Harapan (PH) et Barisan Nasional (BN) ont accepté de former un gouvernement sur l'insistance du roi précédent, et le chef de file du PH et leader de longue date de l'opposition, Anwar Ibrahim, a été nommé Premier ministre (PM). Cette alliance lui permet d'obtenir la moitié des sièges de la chambre basse du parlement (111 sur 222). D'autres coalitions et partis plus petits ont ensuite rejoint le gouvernement de coalition, ce qui a permis à Anwar de remporter un vote de confiance en décembre 2022. L'opposition est composée du Parti islamique (PAS) et de certains membres du parti nationaliste BERSATU. Cependant, un groupe aussi disparate (en termes d'idéologie politique et d'ethnicité) pourrait limiter la capacité d'Anwar à réformer, mettant en péril la survie de son poste de premier ministre. En outre, son engagement dans la lutte contre la corruption a été remis en question à la suite de deux mesures judiciaires relatives à des condamnations pour corruption prononcées à l'encontre de deux membres éminents de l'UMNO, le principal parti de la coalition BN, avec lequel il gouverne. La peine de prison de l'ancien premier ministre Najib Razak a été réduite de moitié, tandis que la Haute Cour a délivré une "décharge n'équivalant pas à un acquittement" à l'ancien vice-premier ministre Ahmad Zahid Hamidi en septembre 2023. Un an après son entrée en fonction, sa cote de popularité est tombée à 50 % en novembre 2023, contre 68 % en décembre de l'année précédente.
Sur le plan extérieur, le pays est resté neutre quant à la rivalité entre les États-Unis et la Chine, compte tenu de l'importance des deux pays pour son économie (commerce et investissements). La Malaisie est l'un des pays qui profitent des tensions, attirant des investissements chinois et occidentaux dans son secteur technologique. Par ailleurs, les relations du pays avec l'UE se sont encore refroidies depuis l'introduction, en avril 2023, du règlement de l'Union sur la déforestation, qui vise à empêcher les produits vendus dans l'UE de contribuer à la déforestation. Menaçant les exportations d'huile de palme du pays, son principal produit agricole (pour lequel l'UE est le deuxième marché d'exportation), la Malaisie a considéré cette règle comme discriminatoire. En 2021, la Malaisie a déposé une plainte auprès de l'OMC contre l'UE concernant différentes mesures relatives à l'huile de palme et aux biocarburants à base de d’huile de palme. Bien que l’OMC ait trouvé des failles dans les mesures européennes, l’organisation a néanmoins approuvé la décision de l'UE d'imposer des règles contre l'utilisation de l'huile de palme comme biocarburant en raison des risques d'émissions.
La Malaisie, dont plus de 60 % de la population est musulmane, n'entretient pas de relations avec Israël et prône une solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien. En réponse à la guerre de Gaza, la Malaisie a annoncé en décembre 2023 que les cargos sous pavillon israélien ne seraient pas autorisés à accoster dans ses ports.