Une période charnière pour les réformes ambitieuses du Président Tinubu
La croissance devrait demeurer robuste en 2025, principalement grâce au secteur pétrolier, dont le poids réel dans l’économie dépasse largement sa contribution directe au PIB (5,4% du PIB en 2023), dans la mesure où, ni le vol d’hydrocarbures, ni leur extraction clandestine, ni les retombées sur l’ensemble de l’économie (entrées de devises, recettes budgétaires) ne sont pris en compte. Cependant, en juin 2024, la production de pétrole brut n’a atteint que 1,28 million de barils par jour (mbj), loin du quota de 1,5 mbj fixé par l’OPEP pour 2024 et du niveau pré-covid de 2,1mbj. En effet, depuis 2020, la production de pétrole est entravée par une combinaison de facteurs tels que le vandalisme à terre, la piraterie en mer, le vieillissement des infrastructures couplé au sous-investissement dû à l’adoption tardive du Petroleum Act en 2021 et au repli des compagnies étrangères du delta du Niger. L’adoption de trois décrets additionnels, en 2024, devrait instiller la confiance et stimuler la production en 2025. Ils prévoient des incitations fiscales pour le gaz, une réforme des procédures et délais de passation de marché, et une réforme du contenu local pour réguler les entités intermédiaires. Enfin, le renforcement de la sécurité est aussi crucial pour l’amélioration de la production pétrolière. Par ailleurs, si le Nigéria est le premier producteur de pétrole d’Afrique, il est également un grand importateur de produits pétroliers (33% des importations en 2023). Après des années d’arrêt, deux raffineries d’Etat devraient reprendre leur activité en 2024, selon la compagnie pétrolière nationale (NNPC). En plus, la nouvelle méga raffinerie Dangote, mise en service en 2024, devrait atteindre une capacité de 550 000 barils par jour, soit 85% de sa capacité finale, d’ici la fin de l’année. Elle a pour objectif de mettre fin aux importations de carburant, réduisant ainsi la consommation de devises étrangères et les coûts de transport liés à l’importation. Cependant, la réussite du projet fait face à des défis : l’incertitude autour des livraisons de brut de la NNPC incite Dangote à opter pour des importations. De plus, des différends avec le gouvernement, qui dénonce la formation d’un monopole, pourraient ralentir l’entreprise.
Concernant les secteurs non-pétroliers, le secteur électrique ne satisfait pas la demande intérieure. La capacité du réseau de transport et de distribution est insuffisante, la maintenance des infrastructures défaillante, et l’approvisionnement en gaz problématique. De plus, les vols et la sous-tarification dissuadent les producteurs, principalement privés, d’investir plus. La finalisation du gazoduc AKK, qui relie les villes d’Ajaokuta (au sud), Kaduna (centre) et Kano (nord), prévue pour 2025, devrait permettre d’augmenter la production électrique de 67% grâce aux 3,6 gigawatts supplémentaires et de promouvoir le secteur industriel. Cependant, même avec le supplément de capacité prévue, l’électricité fournie par les générateurs privés (22 millions pour une capacité installée de 42 gigawatts) est incommensurablement plus importante que celle permise par le réseau électrique, bien que plus coûteuse en raison des prix élevés du carburant importé. Par ailleurs, suite à la découverte de gisements de lithium, le Nigéria prévoit de développer son secteur minier (0,9% du PIB), notamment avec la mise en production de la mine « Jupiter Lithium » en 2025. Les services constituent un autre pilier de l’économie nigériane (56,2% du PIB) et resteront dynamiques en 2025 grâce à la résilience des secteurs de l’information et de la communication (17% du PIB) et bancaire (5% du PIB). Enfin, la production du secteur agricole (25% du PIB et 45% de la main d’œuvre) reste insuffisante en raison de l’insécurité, du manque d’infrastructures et des accidents météorologiques, d’où des importations significatives de blé, de riz, de sucre, de poisson…(USD 2,13 milliards en 2023 et 11% des importations de marchandises). La consommation privée (64% du PIB en 2023) pourrait reprendre timidement avec la légère désinflation attendue. En revanche, l’investissement (23,8% du PIB), surtout privé, souffrira du resserrement monétaire.
Les principales réformes économiques du Président Tinubu visent l’arrêt des subventions sur le carburant et l’alignement des taux de change officiel et parallèle. La suppression des subventions sur le carburant, en mai 2023, a triplé les prix à la pompe et fait exploser le coût de fonctionnement des générateurs, ce qui a conduit le gouvernement à faire machine arrière en juillet 2023, avec la réintroduction partielle de la subvention qui devrait re disparaitre en 2025. Quant à l’unification des taux de change, elle a provoqué des dévaluations du naira en juin 2023 (-44%) et janvier 2024 (-39%) qui se sont répercutées sur les prix des denrées alimentaires, largement importées (+40% en glissement annuel, en juin 2024). Ces éléments expliquent l’inflation à deux chiffres. Afin de stabiliser le naira et freiner l’inflation, la Banque Centrale du Nigéria (CBN) a poursuivi son resserrement monétaire en 2024, avec quatre hausses consécutives de son taux directeur, qui l’ont porté au niveau record de 26,75% en juillet 2024. Elle n’envisage pas de baisser son taux, tant que l’inflation dépasse sa cible de 6-9%. Malgré tout, l’inflation devrait diminuer en 2025 grâce aux effets retardés du resserrement monétaire, à l’abandon du financement monétaire des déficits publics et à un naira plus résistant. La mise en service de la méga raffinerie devrait réduire la consommation de devises, contribuant ainsi à l’affermissement du taux de change. De plus, en juillet 2024, la CBN a suspendu les droits de douane sur certaines denrées alimentaires pour une durée de 150 jours afin de limiter l'inflation des produits importés.
Un effort d’assainissement des finances publiques
Les réformes engagées pour assainir les finances publiques réduiront peu le déficit public en 2025. Malgré les efforts de diversification, les recettes (9,4% du PIB en 2023) restent très dépendantes des revenus pétroliers (2,9% du PIB en 2023, soit 30% des recettes du secteur public). Cependant, elles devraient profiter d’une augmentation de la production pétrolière en 2025. Les recettes non pétrolières progresseront également, grâce à une augmentation de la TVA, de 7,5% à 10%, et à l’élargissement de l’assiette fiscale. Les dépenses (13,6% du PIB) seront rationnalisées. La reprise partielle des subventions sur le carburant a pesé lourdement sur les comptes publics en 2024 (2,8% du PIB), mais elles devraient cesser en 2025. En revanche, les intérêts du service de la dette (3,3% du PIB et 35% des recettes publiques consolidées en 2023) restent élevés, comparativement à la rémunération du personnel (1,9% du PIB) et aux dépenses d’investissement (1,9% du PIB). En 2025 le gouvernement devrait cesser de faire financer son déficit par la banque centrale. Il optera pour un financement extérieur et intérieur, principalement par émission d’obligations, malgré des taux d’intérêt élevés. La dette publique est libellée à 35% en devises étrangères et limitée à l’échelon fédéral, avec une part domestique de 62% et une part extérieure de 38%. La dette extérieure (16% du PIB) est détenue par des créanciers multilatéraux (50%), bilatéraux (14%) et obligataires (36%). En août 2023, le Nigéria a contracté un prêt gagé sur la production future d’hydrocarbures de 3,3 milliards USD avec Afreximbank afin de stabiliser le naira. Il cherche à obtenir un prêt similaire, cette fois pour renforcer les finances de la NNPC et permettre des investissements dans le secteur. Le Nigéria devra rembourser une euro-obligation de 1,1 milliards USD en novembre 2025.
Comme en 2024, le compte courant devrait juste atteindre l’équilibre en 2025. L’évolution de la balance commerciale dépendra de celle des cours mondiaux du pétrole. Elle devrait rester proche de l’équilibre, avec des importations (14% du PIB en 2023) en baisse du fait de la montée en charge de la raffinerie Dangote et de l’atonie de la demande intérieure refroidie par la dévaluation du naira. Le déficit des services (2,5% du PIB en 2023) demeurera du fait des coûts de transport générés par le secteur pétro-gazier, tout comme celui des revenus avec le versement des intérêts sur la dette extérieure (0,6% du PIB). Ces déficits seront compensés par les remises d’expatriés (5,7% du PIB), principalement en provenance des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni, dynamiques et encouragés par l’unification des taux de change. Les réformes, notamment celle du système de change, peineront à faire décoller les investissements étrangers de portefeuille, plus encore les IDE (1,2% du PIB en 2023). Les réserves de change s’améliorent avec l’équivalent de 11 mois d’importations en juillet 2024.
Le parti présidentiel affaibli face au climat social et sécuritaire délétère
Depuis son arrivée au pouvoir, en mars 2023, avec seulement 36,6% des voix, le Président Bola Tinubu (parti « All Progressive Congress ») a lancé une série de réformes pour restaurer les finances publiques et stimuler la croissance à moyen terme. La suppression (deuxième tentative prévue en 2025) de la subvention sur le carburant, très coûteuse, corrigera les distorsions induites (comportement de rente, contrebande, corruption), et l’unification du taux de change permettra de stimuler les exportations jusque-là monopolisées par le secteur pétrolier, tout en supprimant le favoritisme dans l’octroi des devises à cours subventionné. Cependant la réalisation se heurte au mécontentement grandissant de la population confrontée à la forte inflation et son corollaire, la pauvreté croissante. En juillet 2024, un nouveau salaire minimum, passant de 30 000 à 70 000 nairas (environ 44 USD) par mois, a été approuvé par le gouvernement et les principaux syndicats, mettant fin à des mois d’impasse et de menaces de grève générale. Toutefois, la population salariée, qui en profitera, est réduite et absente des couches les plus pauvres. Une protection sociale au bénéfice des plus démunis devrait être développée en parallèle, mais sa mise en place est obérée par l’action publique défaillante. Aussi, des manifestations massives se sont produites début août 2024, durement réprimées par les forces de sécurité au prix de plusieurs morts. Dans ces conditions, la mise en œuvre des réformes a terni l’image du parti présidentiel, qui détient la majorité au Sénat (59 des 109 sièges), mais n’a pas réussi à obtenir la majorité à la Chambre des représentants (159 sièges sur 360). Le gouvernement doit également gérer une situation sécuritaire interne préoccupante, dont la population rurale pâtit en premier lieu. Le pays est confronté au terrorisme, au séparatisme, au banditisme, avec des enlèvements collectifs à répétition, à la piraterie, ainsi qu’aux conflits entre agriculteurs et éleveurs. Le nord-est est particulièrement affecté par les attaques du groupe djihadiste Boko Haram et de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), le sud-est à celles des séparatistes. Le gouvernement doit également contenir les activités criminelles qui perturbent la production de pétrole, avec près de 400 000 barils qui auraient été détournés quotidiennement en 2023. Le delta du Niger est particulièrement touché. En réponse au vol de pétrole et à son raffinage illégal, le gouvernement lance des opérations militaires. Enfin, les trafiquants d’armes, de drogue, d’or et de carburant sévissent aux frontières.