Abandon du projet européen de réduction des délais de paiement : quels impacts sur les TPE et PME ?

Le 28 février 2024, FinMag a rencontré Patrice Luscan, directeur marketing de Coface, pour évoquer l’abandon du projet européen de réduction des délais de paiement. Cette initiative visait à protéger les petites entreprises des abus des grands groupes, mais sa mise en œuvre aurait pu engendrer des difficultés supplémentaires, l’enjeu principal restant les retards de paiement, plus problématiques que les délais eux-mêmes.

Pour les petites entreprises, des solutions comme l’assurance-crédit et des outils d’information spécifiques, tels qu’EasyLiner et Urba360, peuvent offrir une protection face à ces retards et une gestion des risques plus efficaces.

Les statistiques montrent qu'un quart des défaillances des PME est dû à des retards de paiement ou à des impayés, soit un problème conjoncturel des encaissements clients.

- Patrice Luscan, Directeur marketing de Coface

 

Le projet européen de réduction des délais de paiement a été récemment abandonné : quel impact cela a-t-il sur les TPE et PME ?

Pour nous, cet abandon est une bonne nouvelle car nous étions assez inquiets des conséquences. L’initiative partait d’une bonne intention, en réponse à un constat : dans les crédits inter-entreprises, c’est-à-dire les délais de paiement que s’accordent les entreprises entre elles, les PME subissent généralement les retards les plus longs. L’objectif de l’Europe était donc de réduire ces délais pour protéger les PME.

Cette approche est cependant discutable car, de notre point de vue, le véritable problème réside dans les retards de paiement. Lorsque les entreprises conviennent d’un délai de 45 jours et qu’il y a du retard, cela entrave les trésoreries et crée des aléas inutiles. En revanche, les délais de paiement librement consentis ont un intérêt économique, et les PME en bénéficient autant qu’elles en souffrent. C’est le cas notamment des PME en bout de chaîne, comme le commerce de détail ou les artisans qui facturent des particuliers avec des règlements comptants, et profitent des crédits fournisseurs. Pour ces entreprises, une réduction brutale à 30 jours nous semblait vraiment dangereuse, car cela aurait été fait sans garantie qu’elles pourraient trouver l’équivalent en facilités à court terme auprès de leur banquier.

 

Si les délais de paiement ne sont pas raccourcis, de quels outils disposent les TPE dans leur gestion des crédits ?

L’essentiel est de négocier des délais de paiement que l’on peut financièrement se permettre d’accorder. C’est un équilibre délicat, entre le crédit fournisseur dont on bénéficie et le crédit client que l’on accorde. La première chose à faire est de gérer son fonds de roulement et ces deux négociations de manière réaliste. Parfois, dans les PME, on prend des risques en espérant que tout ira bien, ce qui peut conduire à une gestion tendue du fonds de roulement. En réalité, les statistiques montrent qu’un quart des défaillances des PME est dû à des retards de paiement ou à des impayés, soit un problème conjoncturel des encaissements clients.

La deuxième chose à faire est de s’outiller, notamment via l’assurance-crédit. L’assurance-crédit est une solution complète qui permet d’orienter, de protéger, et d’accompagner en cas de crise, avec des solutions de recouvrement. Il existe aussi des solutions plus légères et moins coûteuses qui aident à structurer la prise de risque, notamment grâce à l’information d’entreprise. En y consacrant un peu de temps, on peut mieux comprendre la situation des contreparties, qu’elles soient clientes ou fournisseurs, et évaluer leur capacité à payer dans six mois, par exemple. Cela semble basique, mais il est essentiel de se poser ces questions et de rechercher des outils disponibles sur le marché. Le drame des PME est que le chef d’entreprise a beaucoup de responsabilités et n’a pas toujours le temps de s’outiller de solutions spécialisées.

 

Comment Coface adapte-t-elle ses services d’assurance-crédit, surtout utilisés par des grandes entreprises, pour les TPE ?

Il y a un peu plus de 10 ans, nous avons décidé de segmenter notre offre produit. Nous avons créé un produit spécifique pour les PME, appelé EasyLiner, simple d’accès et facile à utiliser. Ce produit offre une garantie solide, car les PME ne sont pas toujours financièrement robustes et ont besoin d’une bonne couverture d’assurance.

EasyLiner inclut également des éléments d’information et de prévention, ainsi que de l’assistance pour le recouvrement. C’est donc un produit complet qui inclut tous les services offerts aux grandes entreprises et un niveau de garantie équivalent, élément essentiel pour les TPE et PME.

Nos efforts ont principalement visé à réduire la complexité et l’accession dans l’optique du primo-accédant. Nous avons conçu un contrat lisible en 20 minutes, alors qu’un contrat classique d’assurance-crédit prend environ 1h30 à comprendre. Cela a impliqué un effort sémantique pour éliminer le jargon technique typique des credit managers, les PME ne disposant pas de credit managers pour déchiffrer ses documents.

Nous avons également mis en place un dispositif d’accession en ligne, avec un portail où les utilisateurs peuvent découvrir le produit, obtenir des devis et, s’ils sont convaincus, émettre et signer leur contrat, puis payer la prime, même si, en matière d’assurance-crédit, les clients ont souvent besoin de parler avec nous avant de se décider. Néanmoins, ce dispositif en ligne vise à diffuser plus largement le produit, car l’assurance-crédit est généralement consommée par des entreprises de grande taille. Nos taux de pénétration augmentent significativement au-delà de 15 à 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais restent encore faibles pour les entreprises réalisant entre 2 et 8 millions d’euros. Les réseaux de distribution des assureurs-crédit sont, de fait, dimensionnés en fonction des portefeuilles et ne permettent pas vraiment d’aller évangéliser toutes les PME. Nous avons pensé que le digital pourrait être un moyen de décupler cet effort de pédagogie.

 

En quoi consiste votre offre d’information d’entreprise ?

Nous avons récemment réinvesti considérablement dans ce domaine, car pour les PME, l’offre d’information est intéressante à plusieurs égards. D’abord, elle est moins chère, et peut se consommer de manière occasionnelle. Elle constitue un premier pas dans la démarche, avec un engagement moindre que celui d’un contrat d’assurance-crédit. Cette offre permet d’acquérir des connaissances, même si elle n’inclut pas encore tous les mécanismes de garantie et les bonnes pratiques en matière de gestion des délais de paiement qu’offre le contrat d’assurance-crédit.

Nous avons renouvelé nos offres et diffusons actuellement une solution appelée Urba360. C’est un outil en ligne qui permet, via différents indicateurs (risques pays et sectoriels, ratios financiers, délais de paiement) et codes couleurs une analyse très rapide et facile de la situation d’une entreprise.

Cette offre suscite un intérêt manifeste de la part des petites entreprises, car elle leur permet de mieux gérer et visualiser les risques liés à leurs clients de manière accessible et intuitive.

Retrouvez l'interview sur le site de FinMag ici.

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