Une croissance robuste confortée par le retour de la paix au Tigré
En 2024, la croissance demeurera robuste, bien qu’inférieure à son élan d’entre 2000 et 2017, avec une moyenne de 9%. Le secteur agricole (32% du PIB), pilier économique du pays (75% de la population et 80% des exportations), pâtira d’une cinquième année consécutive de sécheresse. L’activité sera, donc, surtout portée par un secteur des services résilient (40% du PIB) grâce au tourisme, au fret aérien et aux télécommunications. Le secteur manufacturier (4,6% du PIB) continuera d’être entravé par la destruction d’infrastructures lors du conflit, les contraintes de change et l’exclusion du programme de préférences commerciales African Growth and Opportunity Act (AGOA), décrétée par les États-Unis en 2022. En revanche, le déploiement de nouveaux parcs industriels, principalement sous impulsion chinoise et indienne, pourrait, tout de même, stimuler l’activité manufacturière (vêtements, matériel de construction, transformation de produits agricoles) et attirer les investissements étrangers. La fin du conflit au Tigré devrait relancer l’investissement local et la consommation privée (77% du PIB en 2022), mais des développements inquiétants dans d’autres régions pourraient retarder les dividendes de la paix. Si le modèle planificateur a permis la réalisation de grands projets d’infrastructures grâce à l’investissement et à l’endettement publics, il explique en revanche un secteur privé embryonnaire. Le gouvernement entend libéraliser et privatiser davantage l’économie avec le plan Homegrown Economic Reform (HGER). Après sa suspension liée à la crise sanitaire et au conflit au Tigré, ces réformes seront probablement poursuivies en 2024. D’ailleurs, l’Ethiopie est en pourparlers avec le FMI pour emprunter 3,5 milliards d’USD dans le cadre d’un programme pour soutenir la seconde phase du programme HGER.
L’inflation sera toujours élevée, mais commencera à refluer. La croissance de la masse monétaire, liée à la monétisation du déficit public, et la dépréciation du birr expliquent les pressions inflationnistes. En août 2023, pour lutter contre l’inflation élevée, la Banque centrale d’Ethiopie (NBE) a décidé de limiter son financement direct du gouvernement, ainsi que la croissance du crédit, essentiellement celui des deux principales banques commerciales qui appartiennent à l’Etat. En 2024, la NBE devrait poursuivre son resserrement monétaire. Le birr éthiopien, monnaie non convertible, est largement surévalué. Alors que le taux officiel est de 56 birr/USD, la pénurie de devises étrangères a conduit à un taux de change sur le marché parallèle proche du double du taux officiel (110 birr/USD en janvier 2024).
Des déficits jumeaux et contingents à la mise en place d’un programme avec le FMI
Dans la perspective d’un programme financé par le FMI, le gouvernement poursuivra ses efforts d’assainissement budgétaire et le déficit public diminuera sur l’année budgétaire 23/24. Les recettes (7,9% du PIB en 22/23) augmenteront grâce à l’élargissement prévu de l’assiette fiscale. Les dépenses (10,8% du PIB en 22/23) seront principalement composées de dépenses en capital et de dépenses courantes, qui en constitueront respectivement 63% et 37% en 23/24, avec prise en compte de la suspension des intérêts de la dette. Les dépenses en capital seront axées sur la reconstruction et le développement (humain, agricole et industriel), les dépenses courantes sur l’aide humanitaire, suite au conflit, et sur des mesures sociales pour aider les ménages à faire face à l’inflation et à la sécheresse. Le déficit sera couvert par des emprunts auprès des banques locales et, potentiellement, par un financement direct par la NBE. Suite à l’accord de paix au Tigré, l’aide occidentale a repris et le gouvernement pourrait obtenir des financements extérieurs facilités par un possible accord avec le FMI. La dette extérieure représente 44% de la dette publique totale (dont les deux tiers sont attribués au gouvernement fédéral). Les deux principaux détenteurs de la dette publique extérieure sont la Banque mondiale et la Chine, qui en détiennent respectivement 41% et 20%. En décembre 2023, le pays est entré en défaut de paiement sur un coupon de 33 millions d’USD d’une euro-obligation à 10 ans d’1 milliard d’USD au taux de 6,625% arrivant à échéance en décembre 2024. L’objectif est vraisemblablement d’obtenir un aménagement de la part des créanciers privés. Sur le modèle de l'accord conclu avec la Chine en août 2023, un arrangement a été trouvé avec les autres créanciers bilatéraux pour suspendre les paiements du service de la dette entre le 1er janvier 2023 et le 31 décembre 2024. Les montants suspendus seront dus sur la période 2027-2029. L’accord est un soulagement pour l’Ethiopie, mais il reste contingent à l’adoption en 2024 d’un programme de réformes financé par le FMI.
Le déficit courant se réduira légèrement en 2024, même si la balance commerciale restera déficitaire (11% du PIB en 2022). Les exportations sont affectées par les tensions en mer Rouge et dans le Golfe d’Aden, et pâtiront de la directive européenne visant à limiter l’importation de café issu de la déforestation. Les exportations de café, représentant 35% des exportations totales, dont 30% destinées à l'Union européenne, en seront particulièrement impactées. La pénurie de devises pénalisera aussi bien les importations que les exportations en limitant les importations d’intrants. Une balance des services excédentaire, portée par le tourisme et le fret d’Ethiopian Airlines, ainsi que les remises d’expatriés (5% du PIB en 2022), principalement en provenance des Etats-Unis et d’Arabie Saoudite, ne compenseront pas le déficit commercial. Les aides extérieures, telles que celle auparavant suspendue de l’Union Européenne de 680 millions d’USD, aideront à limiter le déficit. Compte tenu du très faible niveau des réserves de change (moins de deux semaines d’importations en septembre 2023), le besoin de financement sera assuré par des IDE (2,9% du PIB en 2022) et des emprunts, surtout concessionnels.
Une situation sécuritaire toujours instable et des tensions avec les pays voisins
Abiy Ahmed est premier ministre depuis 2018. Son parti, le Prosperity Party (PP), a remporté 410 des 547 sièges au Parlement en juin 2021. L’accord de paix de novembre 2022 a mis fin à deux années d’affrontement entre les forces fédérales et le Front de Libération du peuple du Tigré (TPLF). Cependant, dans d'autres régions du pays, les tensions se sont amplifiées, entraînant l'instauration de l'état d'urgence depuis août 2023 et des arrestations de journalistes et d'opposants politiques. Dans la région Amhara, au nord-ouest, les tensions s’amplifient entre les forces fédérales et une milice régionale « d’autodéfense » (Fano), qui accuse le gouvernement fédéral de vouloir démanteler les unités paramilitaires créées par les Etats régionaux afin de les affaiblir. Dans la région d’Oromia, des affrontements avec l’Armée de Libération Oromo (OLA), autre groupe armé non-étatique, paralysent la région.
Concernant les relations internationales, l’Ethiopie, enclavée depuis 1993, suite à la sécession de l’Erythrée, pourrait profiter d’un accès à 20km de côtes à des fins militaires et commerciales pendant 50 ans grâce à un protocole d’accord signé avec le Somaliland en janvier 2024. Cela s’ajouterait à l’utilisation actuelle du port de Berbera et réduirait les coûts logistiques liés à l’utilisation du port de Djibouti, par lequel transite 80% de son commerce. L’accord implique en contrepartie la cession de parts dans la compagnie aérienne Ethiopian Airlines, ainsi que la reconnaissance du territoire séparatiste par l’Ethiopie, ce qui alimente les tensions avec la Somalie. Cependant, le contenu précis de l’accord et sa réalisation restent incertains, alors que des pressions internationales sont exercées du fait de la non-reconnaissance par la communauté internationale de la souveraineté de facto du Somaliland. Par ailleurs, le remplissage unilatéral par l'Éthiopie du barrage Renaissance (GERD) sur le Nil bleu a ravivé les tensions avec l'Égypte. De fait, si l’Ethiopie voit ce méga-barrage hydroélectrique comme un atout stratégique pour sa production d’électricité, il pourrait, en revanche, troubler l’approvisionnement en eau des pays en aval (Soudan, Egypte). Enfin, si l’avènement de la paix au Tigré, en 2022, a réduit les tensions avec les pays occidentaux, permettant un retour de l’aide extérieure et une possible réintégration dans l’AGOA, les combats dans deux autres régions, les atteintes aux libertés, les obstacles à l’aide humanitaire et le projet d’accord avec le Somaliland pourraient ternir les retrouvailles.