Une croissance robuste tirée par la consommation des ménages
Après une année 2024 rayonnante, portée par les services, la croissance espagnole se modèrera en 2025 tout en restant vigoureuse et nettement supérieure aux principales économies européennes (prévisions Coface de la zone euro à 1,1%). L’économie sera portée par une demande intérieure privée robuste. La consommation des ménages (représentant près de 55% du PIB) sera soutenue par un gain du pouvoir d’achat grâce à la modération de l’inflation, au marché du travail dynamique et donc à une croissance élevée du revenu disponible brut réel. Les négociations salariales devraient rester dynamiques en 2025 conformément au cinquième accord sur l’emploi et les négociations collectives (V AENC) de 2023 préconisant une augmentation de 3% en 2025, surpassant ainsi les prévisions d’inflation. De plus, la bonne tenue du marché du travail est accompagnée d’une hausse de la population active tirée par l’arrivée d’immigrés. Entre 2022 et le troisième trimestre 2024, la population étrangère a contribué pour plus de 70% à l’augmentation de la population active. Néanmoins, bien que résiliente, la consommation privée a jusqu’à maintenant connu une croissance plus modeste que celle des revenus réels. Durant le premier semestre 2024, les dépenses des ménages ont augmenté en moyenne de 2,4% par rapport à 2023, le revenu disponible brut de 10%. Ainsi, tout comme dans de nombreux pays européens, les Espagnols épargnent davantage qu’avant la pandémie. Au quatrième trimestre 2024, le taux d’épargne des ménages s’élevait à 14,2% du revenu disponible, un niveau historiquement élevé car bien au-dessus des niveaux prépandémiques (moyenne 2015-2019 à 7,3%). Cette épargne de précaution pourrait ainsi représenter un frein tout comme un levier supplémentaire à la reprise de la consommation en 2025.
D’autre part, la contribution nette des échanges extérieurs devrait perdre de son élan en raison d’une accélération des importations. Alors que l’Espagne va une nouvelle fois enregistrer une année touristique record en 2024, tirée par la clientèle étrangère (94 millions d’arrivées, +10% par rapport à 2023), la normalisation de la reprise du secteur devrait se solder par une croissance plus limitée. Les services continueront tout de même à bénéficier de la robustesse du tourisme qui restera un pilier fondamental de la croissance du pays. De plus, l’économie espagnole sera toujours exposée à la demande et reprise fragile de ses voisins, puisque près de 65% de ses exportations de biens (principalement composées de voitures, machines, pétrole raffiné, produits pharmaceutiques, matières plastiques, et alimentaire) sont à destination du reste de l’Union Européenne (71% en ajoutant le Royaume-Uni).
La reprise de l’investissement privé (représentant environ 20% du PIB) devrait se confirmer grâce à la continuation de l’amélioration progressive des conditions financières au cours de l’année 2025. Elle pourrait toutefois être freinée par l’aversion au risque des entreprises face, notamment, aux incertitudes persistantes du contexte économique et géopolitique international. L’investissement sera d’autre part soutenu par l’accélération des décaissements des fonds européens dans le cadre du Plan national de relance avec près de 80 milliards d’euros de subventions et 83 milliards d’euros de prêts pour la période 2021-2026 (pour un total équivalent à 13% de son PIB en 2019). Près du tiers de ce montant a déjà été effectivement versé. Les décaissements devraient donc nettement s’accélérer entre 2025 et 2026, alors que l’Espagne a envoyé en décembre 2024 sa cinquième demande de paiement pour un montant total de près de 25 milliards d’euros. En revanche, une contribution plus modeste des dépenses publiques est attendue dans le cadre de la réintroduction des règles budgétaires européennes.
Un assainissement des comptes publics progressif
Bien qu’il y ait un risque élevé que l’adoption du Budget 2025 échoue, entrainant alors la reconduction du Budget 2023 pour une deuxième année consécutive, l’assainissement des comptes publics devrait se confirmer. Ceux-ci resteront toutefois largement déficitaires après s’être fortement dégradés lors de la crise sanitaire puis énergétique. La réduction du déficit résultera principalement du retrait des réductions de TVA sur les produits alimentaires de base et sur l’électricité qui avaient été prolongées jusqu’à fin 2024. Le gouvernement a toutefois prolongé les subventions aux transports publics, en vigueur depuis 2022, jusqu’à juin 2025. D’autre part, l’évolution positive du déficit sera aussi soutenue par un marché du travail dynamique, notamment alimenté par d'importants flux migratoires et une participation de la population active accrue. En parallèle, un décret-loi royal prévoit la prolongation des taxes sur les bénéfices exceptionnels des établissements bancaires pour les trois prochaines années et des entreprises énergétiques jusqu’à fin 2025 (rapportant ensemble près de 3 milliards d’euros de recettes en 2024), mais celui-ci devra être confirmé au Parlement début 2025 alors qu’il fait débat au sein du gouvernement. Bien que l’Espagne ait échappé à la procédure de déficit excessif l’été dernier en vue du rétablissement des règles budgétaires européennes, la soutenabilité de la très élevée dette publique reste l’un des enjeux du pays à moyen terme. Malgré une tendance baissière au cours des dernières années, la dette publique extérieure nette du pays reste parmi les plus importantes de l’Union européenne (50,2% du PIB au T3 2024).
Par ailleurs, l’excédent courant affiché par le pays depuis 2013, s’est rapidement remis depuis la crise sanitaire puis énergétique et devrait se stabiliser en 2025. Cette nette amélioration est notamment due à l’important excédent de la balance des services (plus de 6% du PIB en 2023), qui a retrouvé des couleurs grâce au tourisme international qui ne cesse d’atteindre des sommets avec de nouveaux records en 2024 et qui devrait suivre son cours en 2025. Celui-ci permet de compenser le déficit structurel de la balance des biens, largement imputable à la dépendance énergétique du pays (mais dont la facture a diminué depuis 2022), et de celle des revenus (envois de fonds des diasporas latino-américaines et marocaines vers leurs pays d’origine).
La coalition fragmentée continuera d’alimenter les risques d’instabilité gouvernementale
À la suite des élections législatives anticipées de juillet 2023 et en l’absence d’alternative viable à droite, le Premier ministre sortant socialiste Pedro Sánchez (PSOE) a réussi à se maintenir au pouvoir malgré sa deuxième place. Sans majorité absolue (121 sièges sur 350), le parti de gauche était tout de même en meilleure position pour former un gouvernement que le Parti Populaire (droite) de son rival Alberto Núñez Feijóo. Sánchez a donc de nouveau été amené à former une coalition regroupant 179 voix avec celles de son principal allié de gauche Sumar (31), EH Bildu (6), ERC (7), Junts (7), PNV (5), BNG (1) et la Coalition Canarienne (1).
Cette coalition multipartite, comprenant les partis indépendantistes catalans et basques, rend la gouvernance difficile malgré les négociations préalables et les concessions controversées déjà accordées ; avec notamment l’adoption d’une loi d’amnistie graciant les séparatistes catalans impliqués dans la tentative d'indépendance en 2017, ne s’appliquant néanmoins pas au leader de Junts, Carles Puigdemont, toujours exilé en Belgique. Le risque d’instabilité politique persistera donc en 2025, alors que le chef du gouvernement est confronté aux opinions et intérêts divergents de ses partenaires. Ainsi, bien que le gouvernement de coalition de Sánchez ait été assez stable lors de son précédent mandat, sa dépendance actuelle à l’égard des partis indépendantistes régionaux peut conduire à une impasse politique comme le démontre le retardement de l’adoption du Budget 2025 en raison du manque de soutien des indépendantistes catalans de Junts. L’incapacité du gouvernement à faire voter le budget pour une deuxième année consécutive remettrait une nouvelle fois en cause sa capacité à gouverner en raison des difficultés rencontrées pour obtenir le soutien parlementaire. La complexité et la fragilité de la coalition de Pedro Sánchez pourrait aussi ralentir la mise en œuvre de réformes structurelles nécessaires au versement des fonds européens.