Croissance soutenue, portée par les exportations technologiques
La croissance de Taiwan demeurera soutenue en 2025, mais sera vulnérable à une montée du protectionnisme. Le surstockage de puces avancées par les clients américains, devant la menace de l’imposition de droits de douane par la nouvelle administration, a poussé la croissance au-dessus de sa tendance en 2024. Mais ce phénomène pourrait s’essouffler. Cependant, la demande liée à l'IA et au « Cloud » (serveurs et autres produits informatiques) continuera à stimuler les exportations. Ces dernières resteront le principal moteur de la croissance, puisque contribuant à hauteur de 80% au PIB. L’électronique (25% du PIB en 2023) connaitra donc encore une croissance soutenue, même si la concurrence de la Chine, des Etats-Unis et de la Corée du Sud, et la production accrue de semi-conducteurs, en particulier de puces « Legacy », exerceront une pression sur les prix et les marges des entreprises. Par ailleurs, les exportations de produits traditionnels non technologiques ne voient pas encore le début d’une reprise, en raison d'une surabondance de l'offre de produits chimiques et d'un afflux de métaux de base chinois à bas prix, dus à la lenteur de la reprise du secteur du logement et aux problèmes de surcapacité sur le continent.
Les dépenses des ménages (47% du PIB) ont ralenti après une phase de rattrapage en 2023, mais il est improbable qu'elles ralentissent significativement en raison des conditions toujours favorables sur le marché du travail et de l’augmentation progressive des salaires réels. La hausse du salaire minimum et des salaires du secteur public, récemment annoncée pour 2025, devrait aussi les soutenir. Cela participera à la croissance du secteur tertiaire (60% du PIB), incluant les services liés au commerce et aux technologies. Des aides supplémentaires aideront aussi à réduire la précarité des travailleurs les plus vulnérables. En 2025, l’inflation continuera de converger vers un niveau inférieur à la cible de la Banque centrale de la république de Chine (CBC) des 2%. Le rebond du marché du logement, associé à la vigueur des exportations, signifient que la CBC pourrait se distinguer d’autres banques centrales et prendre son temps pour abaisser ses taux directeurs, actuellement à 2% pour le taux d’escompte.
L’investissement (25% du PIB), étroitement lié au cycle des exportations, s’est fortement accéléré. La vigueur récente des importations de biens d'équipement indique une dynamique solide pour les trimestres à venir. De plus, un nouveau projet d’investissement, basé sur plusieurs parcs scientifiques du pays, a été approuvé, par le Conseil national des sciences et technologies, afin de soutenir la position taiwanaise de leader dans l’innovation technologique et médicale. Par ailleurs, la construction est dynamique, dans un contexte de hausse des prix de l'immobilier. Le gouvernement a aussi lancé un plan d’investissement dans les projets d'infrastructure publique et industrielle, planifié pour 2025-2028, qui allégera le poids budgétaire grâce à l’appel à l’investissement privé. L’investissement sera enfin porté par le plan « 5+2 », lancé en 2016, qui vise à stimuler l’Asia Silicon Valley (les objets connectés), les machines intelligentes, les énergies renouvelables, la biomédecine, la défense, l’agriculture innovative et le recyclage.
Des comptes sains
Après une gestion budgétaire plutôt prudente ces dernières années, le budget de 2025 paraît particulièrement ambitieux, avec une augmentation de près de 20% par rapport à 2024. Les dépenses les plus importantes seront consacrées à l'aide sociale, suivie par les initiatives dans les domaines de l'éducation, de la science et de la culture. Le budget alloué à 5 industries prioritaires, que sont les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle, le militaire, la sécurité et surveillance, et les communications de nouvelle génération, sera augmenté de 40% comparé à l’année précédente. Cependant, l'obstruction de l'opposition a reporté l’approbation de ce budget et pourrait finalement mener à d’importantes coupes. Le solde budgétaire restera tout de même quasiment équilibré en 2025. A partir du second semestre 2025, le budget pourrait subir des pressions liées au contexte géopolitique, avec une diminution de la croissance des exportations et la mise en place de mesures fiscales afin d’alléger l’impact des tensions sur l’économie locale. De plus, les pressions américaines continueront à pousser à l’augmentation des dépenses militaires, qui s’élèvent aujourd’hui à 2,5% du PIB. Le poids de la dette publique continuera à diminuer en 2025 et restera faible au regard des standards internationaux.
La balance commerciale restera largement excédentaire, contribuant à un excédent courant très élevé. Les exportations sont tirées à plus de 70% par les semi-conducteurs (40% par ceux de dernière génération) et le calcul haute performance (High Performance Computing). Les composants électroniques, en particulier les circuits intégrés servant à l’assemblage des puces, et les carburants constitueront toujours la majorité des importations. La balance des services, traditionnellement déficitaire (sauf durant la période Covid) du fait des dépenses à l’étranger des taiwanais, pourrait être impactée positivement par l’augmentation du nombre de visiteurs d’Asie du Sud et du Sud-Est dans le cadre de la New Southbound policy ou l’éventualité où les touristes chinois seraient autorisés à revenir. Mais un retour rapide au niveau prépandémique est improbable. Bien que soutenu par l’excédent courant, le dollar taïwanais sera vulnérable aux incertitudes politiques et géopolitiques, avec toutefois la CBC en capacité d’intervenir régulièrement pour maintenir sa compétitivité. Les réserves de change seront toujours aussi importantes et en augmentation ; elles s’élevaient à l’équivalent de 16,8 mois d’importation en octobre 2024.
Politique interne agitée, pression chinoise et inconnue américaine
Avec 51 sièges sur 113 depuis les élections de janvier 2024, le parti présidentiel Minjindang (DPP) est minoritaire au Yuan législatif (parlement). Le Kuomintang (KMT, 52 sièges), avec l’appui régulier du Parti populaire taïwanais (TPP, 8 sièges), y dispose de la majorité. L’opposition a fait adopter des textes susceptibles de menacer la séparation des pouvoirs en augmentant le pouvoir du législatif et en perturbant le fonctionnement de la Cour constitutionnelle. L’opposition continuera probablement à présenter des amendements pour saper les efforts du président, qui tente de poursuivre un programme politique ambitieux, notamment en matière de défense et de protection sociale.
La menace chinoise continue à se faire sentir. Le 1er janvier, le président taiwanais Lai Ching-te a appelé à renforcer la visibilité internationale de Taïwan, alors que Xi Jinping a réaffirmé sa revendication sur l'île. Les exercices militaires chinois autour de l’île, en octobre 2024, ont été les plus importants depuis le milieu des années 1990. Pour autant, en 2025, le risque d’invasion ou de blocus devrait être contenu. L’ambiguïté sur une potentielle intervention militaire américaine, en cas d’attaque, constituera un élément de dissuasion. La qualité de fournisseur majeur de semi-conducteurs constitue aussi une protection. Au-delà des manœuvres de voisinage, la Chine va continuer de s’efforcer d’isoler Taiwan sur la scène internationale. Officiellement, Taïwan n'est plus reconnu que par douze petits Etats des Caraïbes, d'Amérique latine et du Pacifique. Elle se voit refuser l’accès aux organismes régionaux. Cela ne l’empêche pas d’entretenir ses liens officieux avec les États-Unis, l'Australie, l'Inde, le Japon et l’Europe. La relation avec les États-Unis restera forte malgré les déclarations tranchées de Donald Trump, selon qui Taïwan aurait « volé le secteur américain des puces » et devrait payer davantage pour sa défense, en menaçant d’imposer des droits de douane si la production de puces n’est pas rapatriée. Par ailleurs, avec la New Southbound policy, l’île entend renforcer ses liens avec l'Asie du Sud et du Sud-Est mais la pression chinoise en limitera la portée.